La révolution des vaccins

Le PDG de Moderna, Stéphane Bancel, explique que le vaccin anti-COVID à ARNm de son entreprise est la première grande utilisation d’une technologie protéiforme.

À ce jour, la technologie de l’ARNm s’est révélée comme étant extrêmement sûre et bien tolérée. Plus de 65 millions de doses ont été administrées sans provoquer un seul cas de caillot dans le sang. L’ARNm est une molécule naturellement présente dans le corps humain et l’ARNm de synthèse utilisé dans nos vaccins est évacuée par le corps dans les 48 heures suivant l’injection. Les technologies de vaccin plus anciennes contiennent souvent des adjuvants et des produits chimiques qui renforcent le système immunitaire, mais ils peuvent avoir des effets secondaires.

Il nous a fallu 30 jours entre le séquençage du variant sud-africain et la production d’un rappel pour lequel nous espérons recevoir l’autorisation mondiale des autorités d’ici la fin de l’été, juste avant la saison hivernale. Pour les futurs variants, notre objectif chez Moderna est de limiter tout le processus à 100 jours. Je ne pense pas que les variants de la COVID s’arrêteront là. Il est très probable que le virus évolue encore beaucoup. Avec notre technologie, nous pouvons combiner jusqu’à six molécules d’ARNm dans un seul flacon de vaccin.

Notre plus grand défi a été que le vaccin de la COVID était le premier produit à base d’ARNm à être commercialisé. En 2019, nous avons fabriqué moins de 100 000 doses de vaccin. Rien que pour le premier trimestre 2021, nous avons livré plus de 100 millions de doses et nous sommes en passe de produire 1 milliard de doses cette année. Nos capacités ont été multipliées par 10 000. Au départ, les machines de production n’étaient pas disponibles de manière standardisée et devaient être fabriquées sur mesure. Il y a eu aussi des problèmes au niveau de l’approvisionnement en matières premières et du recrutement de personnel spécialisé. Toutefois, cette technologie reste extrêmement modulable. Il n'en va pas de même pour la technologie traditionnelle de culture cellulaire, car cette dernière repose sur l’utilisation de cellules vivantes. À l’opposé, les vaccins à ARNm, qui utilisent des enzymes et de l’eau, peuvent facilement être fabriqués à grande échelle une fois que l’infrastructure est en place.

Nous sous-estimons souvent le rôle de la vaccination dans le niveau de santé dont nous jouissons aujourd’hui. Depuis 1918, 80 nouveaux virus dangereux pour l’homme ont été découverts. Beaucoup d’entre nous ne savent pas que de nombreuses maladies qui nous touchent, y compris le cancer, sont causées par des infections virales. Par exemple, le cytomégalovirus (CMV) est la première cause d’anomalie congénitale et aucun vaccin n’existe sur le marché pour le contrer. Moderna est toutefois en passe d’atteindre la phase trois de la mise au point de ce vaccin. Des études ont révélé que les personnes atteintes du CMV vivaient moins longtemps, car leur système immunitaire était occupé à lutter contre le CMV au lieu de combattre les cancers dans l'organisme.

Pour le traitement du cancer, nous travaillons sur des vaccins sur mesure créés à partir de la biopsie de la tumeur cancéreuse du patient. Cinq traitements du cancer sont actuellement en développement, y compris en partenariat avec AstraZeneca. Un autre traitement contre les maladies cardiovasculaires est en développement; il repose sur une seule injection dans le cœur après une crise cardiaque. Ce produit utilise des protéines humaines naturelles pour indiquer à l'organisme comment reconstruire des vaisseaux sanguins et tire ainsi profit d’un médicament régénératif. La technologie de l’ARNm est en train de révolutionner la manière de faire de l’industrie pharmaceutique. 

[Moderna était] prête pour cela, car nous savions que l’ARNm allait ouvrir la porte à de vastes applications ou tomber aux oubliettes. C’était quitte ou double et comme aucune entreprise ne mise sur la probabilité «zéro», nous nous attendions à quelque chose d’énorme que nous avons préparé au cours des deux dernières années. La pandémie a accéléré ce processus de trois à quatre ans et nous a permis d’atteindre le seuil de rentabilité cinq à dix ans plus tôt.

J’ai donné à Moderna la forme d’une entreprise hautement numérique capable de changer d’échelle après avoir observé pendant des années que la modularité et la culture de l’agilité étaient très difficiles à atteindre. Les strates de personnes et de hiérarchies ont souvent tendance à ralentir les choses. Chez Moderna, nous avons atteint cette modularité à grand renfort de technologies. Si quelque chose peut être fait par une machine, nous n’avons pas besoin qu’un être humain s’en occupe. Nous avons investi lourdement dans l’informatique, la robotique et l’IA (intelligence artificielle) au cours des deux dernières années.

La gestion du changement est le talon d’Achilles de l’IA. Chez Moderna, nous avons mené des milliers d’expériences pendant 10 ans et les ordinateurs fournissent aujourd’hui des informations sur l’ARNm à partir de ces données. Les ordinateurs sont en mesure d’identifier des corrélations à partir de ces montagnes de données, ce que l’être humain ne peut pas. J’ai besoin que l’IA fasse partie de l’ADN de l’entreprise. La difficulté ici consiste à trouver une solution pour que les 200 personnes en haut de la hiérarchie de l’organisation puissent l’utiliser sans problème.

Je m’attends à ce que Moderna devienne 10 fois plus grande au cours des 10 prochaines années. Ce «multiplicateur par 10» est l’outil de management le plus important que j’ai utilisé au cours des dix dernières années. Je me focalise dessus chaque matin lorsque j’arrive au bureau. Ce qui est intéressant avec l’intelligence humaine, c’est que si vous choisissez un laps de temps trop court, vous bloquez toute créativité. Une décennie laisse place à la réflexion et aux rêves. L'autre outil de management que nous utilisons régulièrement est la formule «et si vous aviez une baguette magique?» Lorsque nous nous mettons ainsi d’accord sur une vision, nous rembobinons cette vision pour voir les étapes nécessaires pour y parvenir. C’est ce que nous faisons tous les jours depuis 10 ans.

Notre plus grand défi est la dilution de notre culture [d’entreprise]. Nous disposons d’une technologie fantastique et le risque technologie est maintenant derrière nous. Le risque financier est à présent aussi modéré. Nous devons nous efforcer de préserver ce qui fait la singularité de Moderna , prendre des risques calculés, avancer très vite et nous adapter aux données. Toutes les décisions que nous prenons sont fondées sur les données.

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