Des batteries alimentées par les trésors des océans

Les véhicules électriques jouent un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique, mais ils nécessitent de grandes quantités de métaux rares. La solution à ce problème se trouve peut-être au fond de l’océan.

Deux ans. C’est le temps qu’il a fallu pour multiplier par deux le nombre de véhicules électriques qui circulent sur la planète. Il y en a aujourd’hui 7 millions. D’ici à 2030, avec les politiques actuelles, nous pourrions en compter au moins 140 millions, selon l’Agence internationale de l’énergie. Si les gouvernements font le choix du développement durable, ce chiffre pourrait s’élever à 230 millions1.

Objectivement, c’est une formidable nouvelle pour l’environnement. Cela ne va cependant pas sans poser quelques difficultés. Il faut notamment savoir si l’électricité utilisée est produite à partir de sources durables. Vient ensuite la question des quantités considérables de métaux nécessaires à la fabrication des batteries de ces véhicules.

«Nous sommes tous conscients que pour arrêter d’utiliser des carburants fossiles, il faut mener une transition écologique et propre: fabriquer des batteries et conduire des véhicules écologiques. Cela dit, bien évidemment, la production des métaux utilisés pour la fabrication de ces batteries ne fait pas l’objet d’une aussi grande attention, pas encore», explique Gerard Barron, Président-directeur général de The Metals Company, au podcast Found in Conversation.

«Si l’on compte tous les véhicules en circulation que nous prévoyons de passer à l’électrique, toutes les centrales électriques que nous devons convertir à des énergies renouvelables, toutes les batteries qu’il faudra pour stocker l’énergie lorsqu’il n’y aura pas de vent et toutes les maisons à convertir, on parle de milliards de tonnes de métaux nécessaires pour y parvenir.»

Selon The Metals Company, un véhicule électrique doté d’une batterie de 75 kWh et d’une cathode NMC 811 nécessite environ 56 kg de nickel, 7 kg de manganèse et 7 kg de cobalt, auxquels viennent s’ajouter 85 kg de cuivre pour le câblage électrique. 

«À long terme, une bonne partie proviendra du recyclage, car, bien sûr, le métal des batteries est entièrement recyclable. Le problème, cela dit, c’est que nous devons commencer par fabriquer un grand nombre de batteries avant de pouvoir les recycler. Comment s’approvisionner en minerais vierges avec le moins d’impact possible? En effet, actuellement, si nous nous contentons de poursuivre sur la trajectoire actuelle, nous allons continuer de détruire nos puits de carbone, car c’est là que se trouvent les métaux utilisés dans ces batteries», déplore Barron.

«Nous allons devoir expulser des communautés, nous allons devoir générer des milliards de tonnes de déchets et de résidus, ce qui menace la vie de nombreuses personnes. C’est dans ce domaine que nous devons changer notre logiciel.»

La réponse se trouve, selon lui, littéralement au fond des océans. The Metals Company propose d’extraire les métaux des nodules polymétalliques présents sur le plancher océanique du Pacifique, dans la zone Clarion Clipperton. La société prévoit de démarrer la production d’ici à 2024. 

«Il s’agit en un mot d’une batterie de véhicule électrique enfermée dans un rocher et nous pouvons ramasser ces rochers, ce qui réduit considérablement les retombées environnementales et sociales par rapport à d’autres solutions à terre», affirme Barron. 

Son plan consiste à récupérer les nodules sur le plancher océanique à l’aide d’un système d’élévateur spécialement construit pour les remonter dans un navire. Une fois à bord, l’eau et les sédiments seront séparés (avant d’être renvoyés au fond de l’océan) puis les nodules seront transportés à terre par navette pour leur traitement. Le coût d’une telle exploitation minière en haute mer, ainsi que l’usine de traitement qui l’accompagne à terre, est évalué à 10,6 milliards USD et les coûts d’exploitation annuels seraient de 1,8 milliard USD à partir de 2030.

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Barron estime que cette méthode de production de métaux générera 90% d’émissions de CO2 en moins que les méthodes terrestres traditionnelles. Il ajoute que son impact est également moins élevé dans d’autres domaines: «Pas de déforestation, pas de résidus, pas de déchets et des répercussions nettement moins fortes sur la biomasse. Et bien sûr, il est possible d’utiliser à d’autres fins les terres qui auraient été occupées par la mine, elles peuvent servir à séquestrer davantage de carbone ou être cultivées pour une vie plus durable.»

L’exploitation minière en haute mer n’est toutefois pas exempte de controverses. Greenpeace fait activement campagne contre cette pratique en raison du risque de destruction de la biodiversité et des dommages sur un puits de carbone essentiel qu’elle implique.

The Metals Company rétorque que, peu importe là où les métaux sont extraits, cela aura un impact sur certaines formes de vie et sur des puits de carbone et que l’exploitation en haute mer a des effets inférieurs. «Les fonds abyssaux abritent 300 à 1 500 fois moins de vie et capturent 15 fois moins de carbone que les écosystèmes terrestres», affirme la société sur son site Internet. Elle ajoute que son processus d’extraction ne perturbera qu’une mince couche de sédiments, qui seront ensuite replacés au fond de l’océan sans possibilité de remonter à la surface.

«Je crois pouvoir affirmer avec suffisamment de certitude que, si l’on se fie aux preuves scientifiques que nous et d’autres rassemblons, la décision d’extraire ces métaux est la meilleure possible pour la planète», explique Barron, avant d’ajouter que, pour lui, l’extraction minière en haute mer constitue une solution provisoire, qui ne servira que jusqu’à ce que suffisamment de batteries soient en fonctionnement pour permettre un processus circulaire de recyclage. 

The Metals Company prévoit qu’une décennie après avoir lancé la production, elle pourra passer à un système en circuit fermé fondé sur des partenariats de location et de redéploiement avec des fabricants de VE et de batteries.

«Quand une batterie arrivera en fin de vie, elle sera recyclée. Et je pense que les consommateurs suivront les marques qui utilisent des matériaux recyclés... et à l’avenir, le recours à des minerais vierges ne sera vraiment plus acceptable», affirme Barron. «C’est pourquoi je prévois que notre entreprise se détournera de la collecte de nodules en haute mer au profit d’une activité de recyclage. Et bien sûr, avec les technologies des registres distribués, nous pourrons suivre ces métaux et nous ne serons, au bout du compte, plus obligés de les vendre. Nous louerons les métaux et ils nous seront rendus. Nous tenons en effet à les récupérer pour pouvoir les recycler afin d’en tirer encore à l’avenir des bénéfices. Ce sera la seule façon de construire une économie véritablement circulaire.»

[1] IEA, https://www.iea.org/reports/global-ev-outlook-2020 [2] https://www.reuters.com/article/us-deepgreen-m-a-sustainable-opportuniti-idUSKBN2AW1I4